Mont Saint-Aignan (76) Le 14 février 2013 à 20h Projection du documentaire de Raphaël Pillosio « Histoires du carnet anthropométrique »

Mont Saint-Aignan (76)
Le 14 février 2013 à 20h
Projection du documentaire de Raphaël Pillosio « Histoires du carnet anthropométrique »
Soirée organisée par L’association Relais-Accueil des Gens du voyage avec le soutien du service culture de l’IUFMde Mont Saint-Aignan.
La projection sera suivie d’une discussion en présence d’intervenants associatifs
Entrée gratuite sur invitation à retirer auprès du Relais-Accueil des Gens du voyage (par mail ou aux numéros de téléphone sur le flyer).
Lieu :
Cinema Ariel Place Colbert 76130 Mont Saint-Aignan
Plus d’informations : flyer

Le Syndicat de la magistrature adresse une lettre à Manuel Valls pour l’abrogation de la loi de 1969

Monsieur le ministre de l’intérieur,

Alors que la loi du 16 juillet 1912 vient de passer le siècle, n’est-il pas temps d’en finir avec un régime discriminatoire qui déshonore la République ?
Inspirée de considérations raciales et traduisant une volonté de surveillance policière, cette loi avait imposé le carnet anthropométrique d’identité pour les « nomades », lesquels ont été victimes des crimes contre l’Humanité commis pendant la seconde guerre mondiale.

La loi du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni
résidence fixe, dites « gens du voyage », assouplissait ce régime, mais maintenait un dispositif dérogatoire au droit commun, notamment en substituant aux carnets anthropométriques des titres de circulation.
Le 5 octobre 2012, le Conseil constitutionnel a censuré certaines des dispositions relatives à ces titres et la nécessité de justifier de trois ans de rattachement ininterrompu à la même commune pour l’inscription sur la liste électorale. Sont ainsi abrogés les carnets de circulation, que devaient posséder les personnes circulant plus de six mois dans l’année sans domicile fixe et sans revenus réguliers. Ces personnes n’ont plus à faire viser un carnet tous les trois mois et ne sont plus passibles d’une peine d’emprisonnement en cas de manquement. Elles ne peuvent bien sûr plus être placées en garde à vue pour ce motif. Elles demeurent toutefois assujetties à un livret de circulation et elles ont l’obligation d’être rattachées à une commune.

Concernant les droits civiques, le délai nécessaire à l’inscription sur les listes électorales est ramené de trois ans à six mois, comme pour les autres
citoyens, mais les gens du voyage restent une catégorie d’électeurs à part puisque leur nombre est limité par la loi à 3% de la population de la commune de rattachement.

Cette décision du Conseil constitutionnel est positive en ce qu’elle sanctionne les violations les plus criantes des droits et libertés des gens du voyage. Mais les dispositions de la loi de 1969 qui subsistent ont pour effet d’éloigner les gens du voyage des dispositifs et services auxquels chacun doit pouvoir accéder et imposent des contraintes inutiles. Elles sont les dernières traces honteuses d’une époque où cette partie de la population était assimilée à des « étrangers et asociaux indésirables ». Aucun argument raisonnable, et certainement pas la volonté d’exercer une étroite surveillance, ne peut justifier la persistance de telles inégalités. Les gens du voyage ne peuvent pas demeurer, pour la République, des citoyens de seconde zone.

Il appartient maintenant au pouvoir politique de rendre la dignité à tous les citoyens en appliquant le droit commun aux gens du voyage.
Il est temps de se conformer aux décisions des instances internationales, du Comité Européen des Droits Sociaux, de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité… Il est plus que temps de tourner le dos au discours ignoble de Grenoble, de cesser de stigmatiser les gens du voyage et de concrétiser la promesse d’égalité républicaine pour tous dont la gauche a toujours été porteuse.

À cet égard, nous nous souvenons que le chef du gouvernement auquel vous appartenez avait signé le 15 décembre 2010, alors qu’il était dans
l’opposition parlementaire, une proposition de loi portant abrogation totale de la loi de 1969.

Le Syndicat de la magistrature vous demande, par la présente lettre rendue publique compte tenu des enjeux, de ne pas attendre davantage pour mettre fin à cet indigne régime d’exception.

Nous vous prions de croire, Monsieur le ministre de l’intérieur, en l’expression de notre parfaite considération.

Pour le Syndicat de la magistrature, Matthieu Bonduelle, président
Lettre en pdf

Gens du voyage : le gouvernement doit mettre fin à un statut d’exception. Communiqué de la Fnasat-gens du voyage

Paris, le 05 octobre 2012
Le Conseil constitutionnel a rendu ce matin sa décision quant à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise par le Conseil d’Etat, relative à la loi du 3 janvier 1969. (DECISION 5/10/2012)
La question posée était celle de la constitutionnalité d’une législation d’exception appliquée à une composante de la société, la loi de 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe, dites « Gens du voyage ». Le conseil se prononce pour un simple toilettage des dispositions les plus ouvertement scandaleuses.
Rappelons que le Conseil n’est interrogé que sur la dimension de constitutionnalité et que les enjeux qui entourent le statut des gens du voyage vont bien au-delà.
Certes  nous devons nous féliciter qu’enfin l’accès au droit de vote soit le même pour tous et de la simplification des titres de circulation obligatoires, mais il reste parfaitement inacceptable qu’en France, une composante de la population soit soumise à une législation d’exception, qui éloigne continuellement les gens du voyage des dispositifs et services de droit commun, notamment du fait de la commune de rattachement: le Conseil l’a pourtant validé, de même que le quota maximum de 3% de Gens du voyage acceptable dans la population d’une commune.
A titre d’illustration, rappelons qu’une personne habitant en résidence mobile terrestre ne peut pas être électeur dans la commune où il est propriétaire. Rappelons également que l’élection de domicile est un droit figurant dans la loi DALO.
Nous attendons désormais que le gouvernement se saisisse enfin de cette question, en concertation avec les gens du voyage et dans la démarche d’inter ministérialité qu’elle appelle. Cela exige un pilotage qui fait défaut et la mobilisation des administrations centrales. Nous espérons que le rapport thématique attendu de la Cour des comptes permettra de jeter les bases d’une réflexion concertée.
Sans initiative au plus haut niveau, la question restera soumise à une absence évidente d’expertise et de prise en compte dans les services de l’administration centrale, laissant le ministère de l’Intérieur  seul à décider.
La décision du Conseil ne saurait servir d’argument au maintien d’une législation spécifique, hors du droit commun, pour un gouvernement issu d’une majorité ayant demandé son abrogation dans une proposition de loi en 2011.
Fnasat-Gens du voyage

 

Gens du voyage : le Conseil constitutionnel doit abroger la loi du 3 janvier 1969

Nouvel Obs /TRIBUNE  25/09/2012 Par Benjamin Abtan
Mouvement antiraciste européen

Ce mardi, la loi du 3 janvier 1969, qui institue le « livret de circulation » des gens de voyage, est discutée devant le Conseil constitutionnel. Benjamin Abtan, président du Mouvement antiraciste européen EGAM, Alain Daumas et Francine Jacob, président et vice-présidente de l’Union française des associations tsiganes, Cindy Léoni, présidente de SOS Racisme, Jonathan Hayoun, président de l’Union des étudiants juifs de France et Cindy Pétrieux, présidente de la Confédération étudiante, appellent à sa suppression au nom de l’égalité républicaine.

Il est en France une loi, celle du 3 janvier 1969, qui fait exception en Europe. Elle représente, depuis quarante trois ans, une balafre sur le visage de l’égalité républicaine promise par la France à tous les citoyens.

Cette loi s’inscrit dans la filiation directe de celle du 16 juillet 1912, que la Chambre des députés avait adoptée dans l’objectif de mettre sous surveillance les populations nomades, notamment en instaurant un carnet anthropométrique – avec relevé d’empreintes digitales – pour les individus au mode de vie itinérant.

Une honteuse exception française

La loi de 1969 constitue une honteuse exception française sur le continent car elle inscrit la discrimination dans le droit français.

Par exemple, elle instaure des titres de circulation – livret et carnet. Héritiers directs du carnet anthropométrique, ce sont des pièces d’identité obligatoires pour les citoyens français itinérants qui doivent les faire viser tous les trois mois par les forces de police. De plus, elle prive du droit de vote les citoyens itinérants âgés de 18 ans, et pendant trois ans tous ceux qui changent de « commune de rattachement ». Enfin, elle impose des quotas maximum de « gens du voyage » par commune : pas plus de 3% de la population.

Le 25 septembre prochain, le Conseil constitutionnel examinera une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la loi de 1969. Aux éminents membres du Conseil, nous disons ceci : la loi de 1969 doit être supprimée dans son intégralité. Il ne doit rien en rester que le souvenir honteux qu’elle ait pu jamais exister et la dynamique des mobilisations sociétales et politiques qui auront permis sa disparition.

Seule sa suppression intégrale sera à même de mettre un coup d’arrêt, symbolique autant que concret, à des décennies de logiques de persécutions dont elle est issue.

Combattre les stéréotypes

Notre objectif est en effet clair et simple : l’égalité de tous, et la pleine insertion dans la société des tous les citoyens, ce qui passe par une pleine égalité des devoirs et des droits.

C’est cette revendication que nous avions portée l’année dernière, à l’unisson de la société civile européenne unifiée et soutenus par une large coalition de la société civile française, au cours de la première Roma Pride lancée par le Mouvement antiraciste européen EGAM. C’est, aujourd’hui plus que jamais, notre revendication partagée.

Si le Conseil constitutionnel commettait l’erreur de ne pas supprimer toutes les dispositions de cette loi honteuse, la voix de la société civile européenne et française se ferait entendre avec plus de force encore. En particulier, nous pousserions la majorité parlementaire à respecter la promesse de justice faite par le Parti Socialiste au cours de la Roma Pride l’année dernière, à savoir la suppression de la loi de 1969 par la voix parlementaire.

Si cette suppression sera une étape fondamentale dans l’insertion pleine et entière, par la citoyenneté, de tous les citoyens dans la République française, elle devra être suivie d’autres actes politiques clairs.

En particulier, il est grand temps que l’État fasse enfin respecter les dispositions de la loi du 5 juillet 2000, dite « loi Besson », qui obligent les communes de plus de 5.000 habitants à disposer d’une aire d’accueil pour les voyageurs, ce qui est très loin d’être le cas aujourd’hui puisque environ la moitié des communes concernées sont hors-la-loi.

Il est également temps que l’État combatte vigoureusement les stéréotypes séculaires qui touchent les populations liées au monde du voyage, et qui constituent la condition du déploiement des discriminations à leur encontre. Il faudra également poursuivre l’inscription dans la mémoire nationale française des persécutions contre les tsiganes, internés en France tant par le régime de Vichy que par la République.

Respecter la dignité de tous les citoyens

Enfin, qu’il soit aussi clair que l’acquisition nouvelle de l’égalité des droits ne sera pas l’occasion pour les citoyens français liés au monde du voyage et pour leurs compagnons de route pour l’égalité de diminuer l’intensité de leur soutien aux immigrés miséreux venus de Bulgarie, de Roumanie, de Serbie et d’ailleurs, notamment les Roms. Les dynamiques de solidarité que nous avons lancées ne connaissent pas de frontières, ni d’autre horizon que celui de l’égalité.

À cet égard, la politique d’expulsion instituée par le précédent pouvoir et poursuivie depuis lors doit être immédiatement arrêtée, et la dignité des individus touchés par des violences qui trouvent leurs justifications dans des représentations similaires à celles qui s’abattent sur certains citoyens français, pleinement respectée.

Ainsi, la suppression intégrale de la loi de 1969 permettra à tous les citoyens français de déployer, en France et en Europe, l’universalité du combat pour l’égalité des droits, qui est une tradition française à renouveler.

Le cri de colère contre le carnet de circulation

Dans une lettre ouverte, AliceJanuel, alias «Georgette», âgée de 59 ans, ancienne présidente de l’association nationale des gens du voyage catholiques (ANGVC), exprime sa révolte. Soutenue par son successeur, le Nantais ChristopheSauvé, elle lance, ainsi, un appel solennel à ne plus faire viser, en gendarmerie, le «carnet de circulation» qui régit la vie quotidienne de la communauté depuis 1969, pour qu’il soit enfin abrogé.
Lettre d’appel à résistance d’Alice Januel

« Aujourd’hui, je dis ça suffit ! Nous sommes en 2012 et je vais être retraitée. L’administration m’a remis un nouveau carnet que je dois faire viser tous les trois mois ! C’est la goutte d’eau de trop », martèle cette mère de 4 enfants qui, jusque-là foraine en activité, n’avait eu comme contrainte « que » le « livret de circulation », qui, lui, ne doit être signé que tous les 5 ans.

« Le jour où on ne travaille plus, on nous donne un carnet de repris de justice, ni plus, ni moins », a affirmé Georgette, contactée par l’AFP. « Il nous faut aller à la gendarmerie tous les trois mois, comme un repris de justice ».

« Mon père est entré dans le maquis à 16 ans, engagé volontaire à 18 ans, on a élevé honnêtement nos enfants avec mon mari, ils ont fait leur service militaire… Ce carnet, c’est comme un permis de circuler dans notre propre pays, tous les étrangers l’ont ! », a-t-elle martelé.

« Je refuse ! Et j’appelle tous mes amis, mes frères, et tous ceux qui subissent ce marquage au fer à ne plus faire signer leurs carnets en gendarmerie. Et si on attrape des amendes, comme le prévoit la loi, on ira devant le juge et on utilisera tous les moyens pour faire cesser cette infamie qui nous stigmatise dans ce pays qui se dit être le pays des droits de l’Homme »

« Histoires du carnet anthropométrique » un documentaire de Raphaël Pillosio

SYNOPSIS

En 1912, dans le cadre d’une loi visant à contrôler le commerce ambulant, la République Française imposait le port d’un Carnet Anthropométrique d’identité à une catégorie administrative créée à l’occasion, les « Nomades.
A travers la restitution aux familles concernées , de photographies contenues dans les Carnets Anthropométriques, le film dresse un portrait de l’intérieur de l’extraordinaire hétérogénéité des «Gens du Voyage ». En contre-point, des historiens réfléchissent aux conséquences de cette loi. En interrogeant la permanence d’une exception juridique au cœur de la République Française, ce film propose de réfléchir à la situation passée et actuelle des  Gens du Voyage.

 70 minutes Format de diffusion: DCP, Béta Num. DV CAM. DVD 2012·
2012 – une co-production l’atelier documentaire / TV Tours
avec le soutien du CNC, de la Région Aquilaine. de la Procirep-Angoa et de l’Acsé avec la participation du Ministére de la Culture de la Communication – Direction Générale des Patrimoines -Mission du Patrimoine Ethnologique
Contact
: l’atelier documentaire
101 rue Porte-Dijeaux 33 000 Bordeaux
atelierdocumentaire@yahoo.fr
05 57 34 20 57 / 06 12 50 18 00
www.atelier-documentaire.fr*
dossier de presse

ENTRETIEN AVEC RAPHAËL PILLOSIO

Quel est l’origine de votre projet?

En 2010, j’ai réalisé un documentaire des Français sans Histoire où des témoins âgés racontaient leur internement en France durant la Seconde Guerre mondiale, lors de la préparation de ce film, j’ai découvert l’existence des Carnets Anthropométriques qui étaient imposés â toute personne qui entrait dans la catégorie de « Nomades ». Ces documents comportaient des renseignements très précis sur les individus: leur généalogie, leurs empreintes digitales, les mesures de différentes parties du corps, et des photographies de face et de profil. J’ai tout de suite pensé qu’il fallait que les familles qui ont eu des parents catégorisés comme « Nomades » retrouvent ces photographies.  Donc, l’idée de départ du film, c’était de restituer ces photographies aux familles. surtout que certaines d’entre elles ont très peu de photographies de leurs ancêtres. Ensuite m’est venue l’envie de mêler ces restitutions de photographies à un film sur la loi de 1912 et par un prolongement logique, au statut actuel des « Gens du Voyage ». Cet enchainement m’est apparu comme une évidence.  Ces lois sont au cœur de la vie d’une catégorie de la population française depuis un siècle. Et elles sont complètement ignorées ! Quand aujourd’hui je parle du Carnet de Circulation, mes interlocuteurs sont incrédules : comment comprendre qu’aujourd’hui encore des français subissent un accès discriminatoire au droit de vote, sont obligés d’avoir une commune de rattachement qu’ils ne peuvent pas choisir librement et sont contraints de faire signer un « visa intérieur » tous les trois mois à la Gendarmerie?

PourquoI, lors des restitutions des photographies aux familles, qui sont toujours un moment d’êmotion, vous filmez parfois leurs conditions de vie?

Le cœur du film, c’est cette Loi de 1912. Confronté à des familles qui vivent dans des conditions très difficiles, je m’interroge sur les raisons de cette précaritéqui dure dans le temps et qui s’est installée dans le paysage : est-ce que l’existence d’une catégorie, d’abord celle de « Nomades », puis celle de « Gens du Voyage » n’a pas permis qu’existe une sorte d’état d’exception tolérable aux yeux de l’Etat bien sûr mais aussi aux yeux de tous les citoyens ?

Il est assez surprenant de constater que même dans des situations de grande précarité, les « Gens du voyage «  restent à l’écart des grands élans de solidarité. Et que bien souvent, ils demeurent les boucs émissaires préférés des politiques. Est ce que certaines situations que j’ai filmées: une famille qui vit dans un bois sans eau, sans électricité depuis 12 ans, une autre famille placée dans un trou sous une rocade périphérique depuis 15 ans, seraient tolérables si cette catégorisation n’avait pas existé? C’est une piste de réflexion que je souhaitais aborder, jusqu’à quel point les lois ont influencé et influencent encore la situation actuelle des «Gens du Voyage »?

PourquoI avez vous choisi de faire intervenIr des historiens ?

Compte tenu de la complexité de la Loi de 1912, j’avais besoin d’un éclairage précis sur la réalité du Carnet et seuls des spécialistes pouvaient apporter certaines réponses. Surtout, je voulais filmer les réflexions d’Henriette Asséo et d’Ilsen About sur les conséquences de cette Loi. Si bien que ce que l’on voit à l’écran est assez original: d’habitude les historiens et les témoins d’un même film évoquent les mêmes faits, l’un d’après son vécu, l’autre d’après un savoir scientifique. lci, j’ai essayé autre chose : les historiens parlent de la Loi de 1912 et nous font imaginer le quotidien induit par une telle Loi tout en apportant une dimension réflexive. Les familles filmées parlent de tout autre chose : des personnes photographiées, de leur propre parcours, de leurs conditions de vie, des lois qui les concernent aujourd’hui. Cette pluralité de témoignages, de discours à partir d’un même document, relie tous les participants du film.

« Gens du voyage » ?

Les « gens du voyage » forment un groupe social particulier dans la société française. L’expression elle-même, qui n’est couramment utilisée que depuis un peu plus d’une génération, désigne une entité qui reste plus ou moins clairement définie. Aujourd’hui encore même si certaines ont quasiment disparu, les appellations de bohémiens par exemple, ou de romanichels, saltimbanques, gitans, tsiganes, forains, nomades, gens du voyage, roms se substituent facilement les unes aux autres pour la plupart de nos concitoyens. Relevant de registres différents – langage commun, groupes ethniques ou catégories administratives – ces désignations héritées de l’histoire correspondent toutefois à des réalités différentes et les mots eux-mêmes ont parfois évolué sémantiquement. En 1937, Jacques Feyder réalise sous le titre « Les Gens du Voyage » un film dont l’intrigue se situe dans l’univers du cirque[1].
Selon Alain Reyniers[2], « Avant la seconde guerre mondiale, elle [l’expression « gens du voyage »] désignait essentiellement les personnes qui étaient liées au milieu du cirque et de la fête foraine. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, elle renvoie à des groupes de populations qualifiées jusque-là de « Nomades », de « Bohémiens », de « Romanichels » ou de « Gitans »…
Par ailleurs, comme le montrent Robert Castel dans Les Métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat (1999), Bronislaw Geremek dans La potence ou la pitié : l’Europe et les pauvres, du Moyen âge à nos jours (1987) ou Jean-François Wagniart dans Le vagabond à la fin du XIXe siècle (1999), cette population de « Nomades » qui se mélangeait parfois avec d’autres catégories d’itinérants n’était pas toujours bien délimitée par les autorités publiques.
Ces dernières, en promulgant la loi du 16 juillet 1912 vont créer deux catégories – forain et nomade – qui seront sensées désigner les populations non sédentaires sans les stigmatiser par une origine ethnique. Pour autant les représentations stéréotypées qui accompagnent ces populations subsistent et les amalgames perdurent. La loi du 3 janvier 1969, ne fait plus référence aux termes de « forain » ou « nomade » devenus stigmatisants, mais ne les remplace pas non plus par d’autres. Officiellement donc les « gens du voyage » n’existent pas encore. Encore une fois l’objectif annoncé est la non stigmatisation, et l’apparition progressive de l’expression dans la réthorique officielle est supposée la mettre en œuvre.
Aujourd’hui, pour l’administration, les « gens du voyage » constituent principalement une catégorie reconnue par la loi sur le critère du mode d’habitat. Cette reconnaissance tardive s’exprime dans le premier paragraphe de l’article premier de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage : « Les communes participent à l’accueil des personnes dites gens du voyage et dont l’habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles. » On notera au passage que la notion d’habitat « traditionnel » souligne une certaine ambiguïté autour de la définition des « dits » « gens du voyage ».
Ainsi pour la majorité de l’opinion publique, ils restent d’abord perçus comme un groupe communautaire au mode de vie marginal. Spécificité française les « gens du voyage » sont reconnus par les instances européennes comme une partie de l’ensemble plus large des « Tsiganes » ou des « Roms » notamment sur le critère de la stigmatisation. Enfin, pour eux-mêmes, cette désignation peut n’être parfois qu’une simple étiquette plus ou moins acceptée car tous les « gens du voyage » ne sont pas forcément tsiganes et inversement. Quelle que soit la définition ou la pertinence attribuée à l’expression « gens du voyage », il faut bien convenir pourtant qu’elle appartient désormais au langage courant et qu’une représentation sinon précise et commune, mais au moins approximative lui est associée par chacun.
Bernard Pluchon


[1] « Les Gens du Voyage », réalisateur Jacques Feyder, comédie dramatique en noir et blanc, film français, 1937.

[2] A. Reyniers, Colloque « Scolarisation des enfants du voyage », in Ville-École-Intégration Enjeux, hors-série n° 4, juillet 2002.