« Gens du voyage » ?

Les « gens du voyage » forment un groupe social particulier dans la société française. L’expression elle-même, qui n’est couramment utilisée que depuis un peu plus d’une génération, désigne une entité qui reste plus ou moins clairement définie. Aujourd’hui encore même si certaines ont quasiment disparu, les appellations de bohémiens par exemple, ou de romanichels, saltimbanques, gitans, tsiganes, forains, nomades, gens du voyage, roms se substituent facilement les unes aux autres pour la plupart de nos concitoyens. Relevant de registres différents – langage commun, groupes ethniques ou catégories administratives – ces désignations héritées de l’histoire correspondent toutefois à des réalités différentes et les mots eux-mêmes ont parfois évolué sémantiquement. En 1937, Jacques Feyder réalise sous le titre « Les Gens du Voyage » un film dont l’intrigue se situe dans l’univers du cirque[1].
Selon Alain Reyniers[2], « Avant la seconde guerre mondiale, elle [l’expression « gens du voyage »] désignait essentiellement les personnes qui étaient liées au milieu du cirque et de la fête foraine. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, elle renvoie à des groupes de populations qualifiées jusque-là de « Nomades », de « Bohémiens », de « Romanichels » ou de « Gitans »…
Par ailleurs, comme le montrent Robert Castel dans Les Métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat (1999), Bronislaw Geremek dans La potence ou la pitié : l’Europe et les pauvres, du Moyen âge à nos jours (1987) ou Jean-François Wagniart dans Le vagabond à la fin du XIXe siècle (1999), cette population de « Nomades » qui se mélangeait parfois avec d’autres catégories d’itinérants n’était pas toujours bien délimitée par les autorités publiques.
Ces dernières, en promulgant la loi du 16 juillet 1912 vont créer deux catégories – forain et nomade – qui seront sensées désigner les populations non sédentaires sans les stigmatiser par une origine ethnique. Pour autant les représentations stéréotypées qui accompagnent ces populations subsistent et les amalgames perdurent. La loi du 3 janvier 1969, ne fait plus référence aux termes de « forain » ou « nomade » devenus stigmatisants, mais ne les remplace pas non plus par d’autres. Officiellement donc les « gens du voyage » n’existent pas encore. Encore une fois l’objectif annoncé est la non stigmatisation, et l’apparition progressive de l’expression dans la réthorique officielle est supposée la mettre en œuvre.
Aujourd’hui, pour l’administration, les « gens du voyage » constituent principalement une catégorie reconnue par la loi sur le critère du mode d’habitat. Cette reconnaissance tardive s’exprime dans le premier paragraphe de l’article premier de la loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage : « Les communes participent à l’accueil des personnes dites gens du voyage et dont l’habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles. » On notera au passage que la notion d’habitat « traditionnel » souligne une certaine ambiguïté autour de la définition des « dits » « gens du voyage ».
Ainsi pour la majorité de l’opinion publique, ils restent d’abord perçus comme un groupe communautaire au mode de vie marginal. Spécificité française les « gens du voyage » sont reconnus par les instances européennes comme une partie de l’ensemble plus large des « Tsiganes » ou des « Roms » notamment sur le critère de la stigmatisation. Enfin, pour eux-mêmes, cette désignation peut n’être parfois qu’une simple étiquette plus ou moins acceptée car tous les « gens du voyage » ne sont pas forcément tsiganes et inversement. Quelle que soit la définition ou la pertinence attribuée à l’expression « gens du voyage », il faut bien convenir pourtant qu’elle appartient désormais au langage courant et qu’une représentation sinon précise et commune, mais au moins approximative lui est associée par chacun.
Bernard Pluchon


[1] « Les Gens du Voyage », réalisateur Jacques Feyder, comédie dramatique en noir et blanc, film français, 1937.

[2] A. Reyniers, Colloque « Scolarisation des enfants du voyage », in Ville-École-Intégration Enjeux, hors-série n° 4, juillet 2002.