Gens du voyage : le Conseil constitutionnel doit abroger la loi du 3 janvier 1969

Nouvel Obs /TRIBUNE  25/09/2012 Par Benjamin Abtan
Mouvement antiraciste européen

Ce mardi, la loi du 3 janvier 1969, qui institue le « livret de circulation » des gens de voyage, est discutée devant le Conseil constitutionnel. Benjamin Abtan, président du Mouvement antiraciste européen EGAM, Alain Daumas et Francine Jacob, président et vice-présidente de l’Union française des associations tsiganes, Cindy Léoni, présidente de SOS Racisme, Jonathan Hayoun, président de l’Union des étudiants juifs de France et Cindy Pétrieux, présidente de la Confédération étudiante, appellent à sa suppression au nom de l’égalité républicaine.

Il est en France une loi, celle du 3 janvier 1969, qui fait exception en Europe. Elle représente, depuis quarante trois ans, une balafre sur le visage de l’égalité républicaine promise par la France à tous les citoyens.

Cette loi s’inscrit dans la filiation directe de celle du 16 juillet 1912, que la Chambre des députés avait adoptée dans l’objectif de mettre sous surveillance les populations nomades, notamment en instaurant un carnet anthropométrique – avec relevé d’empreintes digitales – pour les individus au mode de vie itinérant.

Une honteuse exception française

La loi de 1969 constitue une honteuse exception française sur le continent car elle inscrit la discrimination dans le droit français.

Par exemple, elle instaure des titres de circulation – livret et carnet. Héritiers directs du carnet anthropométrique, ce sont des pièces d’identité obligatoires pour les citoyens français itinérants qui doivent les faire viser tous les trois mois par les forces de police. De plus, elle prive du droit de vote les citoyens itinérants âgés de 18 ans, et pendant trois ans tous ceux qui changent de « commune de rattachement ». Enfin, elle impose des quotas maximum de « gens du voyage » par commune : pas plus de 3% de la population.

Le 25 septembre prochain, le Conseil constitutionnel examinera une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la loi de 1969. Aux éminents membres du Conseil, nous disons ceci : la loi de 1969 doit être supprimée dans son intégralité. Il ne doit rien en rester que le souvenir honteux qu’elle ait pu jamais exister et la dynamique des mobilisations sociétales et politiques qui auront permis sa disparition.

Seule sa suppression intégrale sera à même de mettre un coup d’arrêt, symbolique autant que concret, à des décennies de logiques de persécutions dont elle est issue.

Combattre les stéréotypes

Notre objectif est en effet clair et simple : l’égalité de tous, et la pleine insertion dans la société des tous les citoyens, ce qui passe par une pleine égalité des devoirs et des droits.

C’est cette revendication que nous avions portée l’année dernière, à l’unisson de la société civile européenne unifiée et soutenus par une large coalition de la société civile française, au cours de la première Roma Pride lancée par le Mouvement antiraciste européen EGAM. C’est, aujourd’hui plus que jamais, notre revendication partagée.

Si le Conseil constitutionnel commettait l’erreur de ne pas supprimer toutes les dispositions de cette loi honteuse, la voix de la société civile européenne et française se ferait entendre avec plus de force encore. En particulier, nous pousserions la majorité parlementaire à respecter la promesse de justice faite par le Parti Socialiste au cours de la Roma Pride l’année dernière, à savoir la suppression de la loi de 1969 par la voix parlementaire.

Si cette suppression sera une étape fondamentale dans l’insertion pleine et entière, par la citoyenneté, de tous les citoyens dans la République française, elle devra être suivie d’autres actes politiques clairs.

En particulier, il est grand temps que l’État fasse enfin respecter les dispositions de la loi du 5 juillet 2000, dite « loi Besson », qui obligent les communes de plus de 5.000 habitants à disposer d’une aire d’accueil pour les voyageurs, ce qui est très loin d’être le cas aujourd’hui puisque environ la moitié des communes concernées sont hors-la-loi.

Il est également temps que l’État combatte vigoureusement les stéréotypes séculaires qui touchent les populations liées au monde du voyage, et qui constituent la condition du déploiement des discriminations à leur encontre. Il faudra également poursuivre l’inscription dans la mémoire nationale française des persécutions contre les tsiganes, internés en France tant par le régime de Vichy que par la République.

Respecter la dignité de tous les citoyens

Enfin, qu’il soit aussi clair que l’acquisition nouvelle de l’égalité des droits ne sera pas l’occasion pour les citoyens français liés au monde du voyage et pour leurs compagnons de route pour l’égalité de diminuer l’intensité de leur soutien aux immigrés miséreux venus de Bulgarie, de Roumanie, de Serbie et d’ailleurs, notamment les Roms. Les dynamiques de solidarité que nous avons lancées ne connaissent pas de frontières, ni d’autre horizon que celui de l’égalité.

À cet égard, la politique d’expulsion instituée par le précédent pouvoir et poursuivie depuis lors doit être immédiatement arrêtée, et la dignité des individus touchés par des violences qui trouvent leurs justifications dans des représentations similaires à celles qui s’abattent sur certains citoyens français, pleinement respectée.

Ainsi, la suppression intégrale de la loi de 1969 permettra à tous les citoyens français de déployer, en France et en Europe, l’universalité du combat pour l’égalité des droits, qui est une tradition française à renouveler.